Descriptif
Il n’est pas question ici des problèmes dus au changement de système de transcription des sons du chinois en lettres latines qui nous a valu de passer de TAO à DAO, mais d’une singularité des caractères chinois moins secondaire qu’il n’y paraît : ils ignorent les majuscules. Tous les noms propres, qu’ils servent à nommer des personnes, des lieux, des œuvres ou des idées, sont des noms communs. Dans la vie courante cette carence passe inaperçue — le contexte suffit pour s’y retrouver — mais dès qu’il s’agit d’une notion philosophique, elle pose un problème primordial : faut-il parler de «Dao» ou bien de «dao» ? Comment choisir entre l’initiale en majuscule ou en minuscule ? L’initiale en majuscule n’est pas un simple artifice typographique, c’est une modification du sens qui métamorphose le mot, volatilise sa valeur concrète en le projetant à un autre niveau de résonance. Regarder la différence entre : dieu & Dieu. Depuis le début de ce texte, les majuscules à toutes les lettres ont été employées dans l’écriture du mot DAO, à la fois pour esquiver ce choix, et surtout pour souligner ce qu’il implique. Entre «dao» et «Dao», chacun sent une différence d’ampleur. C’est bien dommage, car non seulement cette différence n’existe pas en chinois, mais c’est précisément à cause de sa polyvalence sémantique que ce caractère occupe une place centrale dans la plupart des écoles philosophiques chinoises. Il a été choisi parce qu’il évoque aussi bien la «voie» que la «Voie», le «chemin» que le «projet», la «conduite» que le «principe» qui la dirige. «Dao» ne rend pas ce spectre, «Tao» encore moins, la majuscule les cantonne au seul niveau des idées. A contrario, «tao» n’est jamais employé. Pour rester au plus proche de la réalité chinoise, nous utiliserons maintenant la forme «dao». Suivant Kyril Ryjik(1), on distingue deux composants dans l’idéogramme «dao». A gauche, et se glissant en bas vers la droite comme un pas de danseur, «che», signe de la marche, du mouvement en général ; à droite, «chou» qui représente le dessin d’un visage humain, dont les cheveux sont parfois soulignés, comme dans les représentations chamaniques. Employé seul, «chou» a pour sens propre : «tête, chef, souverain». De là, dérivent ses sens abstraits : «essentiel, capital, principal, originel». Combiné avec «che», il forme un réseau complexe d’où émerge l’idée de «chef conduisant la marche», qui amènera à celle de «conduite ...